Maria

Il y a longtemps, j’avais eu un doux contact avec elle.
En m’installant à sa table, je me suis senti accueilli, écouté,
puis réconforté, selon l’état du moment.

J'arrivais d’une traversée du désert telle que celle racontée par Camus.
Plusieurs fois j'avais cru mourir, comme beaucoup d’autres, probablement;
plusieurs fois, je m’en étais sorti. Étonnement.

MARIA

Il y a longtemps, j’avais eu un doux contact avec elle. En m’installant à sa table, je me suis senti accueilli, écouté, puis réconforté.

J'arrivais d’une traversée du désert, semblable à celles racontées par Camus. Plusieurs fois j'avais cru mourir ; plusieurs fois, je m’en étais sorti.

Ce jour-là, à la terrasse de son petit bistrot, je retrouvais doucement mes esprits. L'établissement était coincé entre deux bicoques du même acabit, dans une ruelle étroite, précisément en face d’un porche d’église dont, curieusement, rien ne permettait de distinguer le caractère religieux. Il fallait lever les yeux jusqu’au ciel pour apercevoir, entre les pointes des toits, celle du clocher penché comme la tour de Pise.

J'étais loquace et il y avait peu de clients. Maria m’avait écouté, elle tombait pour ainsi dire à pic. En quelques minutes, je me suis retrouvé tout ragaillardi.
Il se fit ainsi que, par le plus grand des hasards, des années plus tard, je me retrouvais parmi une foule qui attendait la sortie d’un cercueil, de l'église dont je parlais plus haut. Le corbillard, fleuri des pare-chocs jusqu'à la galerie, patientait de biais sur le trottoir.

À la vitesse de l'éclair, dix ans s’étaient écoulés, et voilà que, dans le café de chez Maria, servi par un commis gominé jusqu’au col, je dégustais à nouveau un excellentissime serré corsé italien.

C'était l’hiver et la bise était de la partie. Le clocher, toujours debout, avait bonne mine. Sur la terrasse noire de monde, on tapait du pied. La foule se répandait jusqu’à l'intérieur du bistrot. C'était trop pour un espace aussi minuscule.

Ici, rien n’avait changé. En dix ans, tout était resté pareil, comme figé dans le pavé. Sur ma chaise, je m'installais confortablement pour observer les “clients” de la cérémonie quand j’aperçus le vieux bonhomme, avec une sacrée bonne bouille bien ronde, s’affairer au milieu du monde. C'était le mari de Maria, que je m'attendais à voir débouler d'une seconde à l’autre. Le type avait pris quarante kilos et vingt ans sur ses épaules. Il portait à bout de bras un plateau rempli de tasses de café fumant.

Le cercueil se faisait attendre. Pour passer le temps et se réchauffer un peu, tout le monde buvait de l’Italien corsé. Le patron repasse à proximité, je l'interpelle : “Bonjour, vous ne me reconnaissez pas, mais moi, si ! Voulez-vous dire à Maria qu’André d’il y a dix ans est ici !?” Le type s'arrête un instant et me fixe intensément dans les yeux. Je lis dans les siens qu’il ne me reconnaît pas, bien sûr. Dans le bistrot, le brouhaha est insupportable. J'entends à peine sa réponse : “Maria (fit-il en roulant le ‘r’), l'est dans l’église, sortira sous peu.” Puis, s'en retourne à ses occupations.

“Ah bon, dans l'église,” je songeais, “peut-être un client connu, alors, vu le public.” Puis, je comprends, au moment où la foule s’ouvre pour laisser passer le cercueil. C’est Maria à l'intérieur, enfin, sa dépouille.

Saisi encore d’un doute, je demande confirmation au premier à côté, qui confirme, tristement. Je revois le mari, toujours chargé de cafés fumants, et lui dis : “Mes sincères condoléances, Monsieur, mais pourquoi continuer à travailler, un jour pareil ?” “Oh, parce que c’est ce que Maria aurait voulu, voilà tout."