Textes

...Pareillement au sternum de l'animal, qu'il est coutume de briser à l'aide de deux paires
de doigts tenant chacune une extrémité.
En tirant vers soi la moitié de l'“y”, le hasard intervient rapidement et l'os se brise de
manière aléatoire. Celui ou celle qui emporte le gros lot, c'est-à-dire le sternum,
obtient le droit de faire un vœu, toujours exaucé et toujours à l'avantage des deux.
Comme on le voit, si on regarde attentivement, le poulet est un poème. Il faut beaucoup
de gourmandise pour le terminer en un seul repas. Et, si l'on est trop gourmand,
c'est connu, on tombe dans l'excès et tout se termine par une indigestion canon.
Peut-être vaut-il mieux s'en réserver quelques parties, pour y revenir un peu plus tard ?
Pas trop tard non plus, bien sûr, sinon il termine à la poubelle, car on est dégoûté
par l'odeur et la couleur qu'il prend. Vert de gris poilu bleu puant gluant. ...

Mr Aragon était éleveur de poulets.


En lisant, vous vous demanderez pourquoi ai-je martyrisé ce fabuleux poème écrit par Aragon ? Sans compter la volée de bois vert que je vais prendre sur la tête. Oui, c'est vrai, j'avoue avoir déchiré une phrase du poème, pour la mieux lire, plus tard, quand j'aurai “la tête à ça”. Plus tard, c'est-à-dire, au calme, loin des bruits et de l'agitation. Là, j’y apprécierai mieux les sons, la cadence, les élans de sens, produits par les mots. Permettez-moi, s'il vous plaît, d'expliquer ma démarche à la fin de cette courte page. La raison, c'est alors mon souhait, vous sautera aux yeux sans vous tomber sur l'estomac.

C'est vrai qu'on ne déchire pas un poème comme on démembre un poulet rôti.

Pour être succulent, le poème doit rester entier. Cependant, qui d'entre nous peut prétendre à chaque fois manger en entier l'oiseau cuit ? Qui peut jurer n'avoir jamais laissé une partie de côté, pour le lendemain, ou par politesse, si l'on est invité ? L'aile ou la cuisse, ou le "blanc", ou les trois, si l'on est très apprécié par l'hôte ?

Pourtant, aujourd'hui encore, combien d'entre nous passe à côté du morceau le plus royal de la bête, le plus tendre, goûteux, surnommé par les chefs : l'huître du poulet, et qui s'appelle en réalité "le sot-l'y-laisse". Situé au-dessus du croupion, en haut des flancs, de chaque côté, donc, deux par volatile. Partage d'amoureux. Pareillement au sternum de l'animal, qu'il est coutume de briser à l'aide de deux paires de doigts tenant chacune une extrémité. En tirant vers soi la moitié de l'“y”, le hasard intervient rapidement et l'os se brise de manière aléatoire. Celui ou celle qui emporte le gros lot, c'est-à-dire le sternum, obtient le droit de faire un vœu, toujours exaucé et toujours à l'avantage des deux.

Comme on le voit, si on regarde attentivement, le poulet est un poème. Il faut beaucoup de gourmandise pour le terminer en un seul repas. Et, si l'on est trop gourmand, c'est connu, on tombe dans l'excès et tout se termine par une indigestion canon. Peut-être vaut-il mieux s'en réserver quelques parties, pour y revenir un peu plus tard ? Pas trop tard non plus, bien sûr, sinon il termine à la poubelle, car on est dégoûté par l'odeur et la couleur qu'il prend. Vert de gris poilu bleu puant gluant.

Prenez une entière patte de poulet, braisée au barbecue, posez-la sur une planche et appréciez, sans modération, les couleurs, l'ambre brune, la chair braisée, épicée, puis, mangez-la, mordez dans la chair tendre et juteuse, mastiquez et avalez jusqu'au plus mince filament enroulé sur l'os.

Ou, disons, sans braises, donc, préparez-la, à votre sauce, badigeonnez de beurre à l'ail, épices, et, jetez-la dans une poêle bouillante où mijote déjà un gros oignon rouge découpé fin en dés. Laissez cuire, retournez de temps en temps. Après quinze minutes de cuisson vive, déposez-la sur la planche de tout à l'heure. Ici, avant de la dévorer, racontez-lui une histoire, ou écoutez la sienne, en fonction des épices dont vous l'aurez charmé. Comprenez-vous, voyez-vous, que le poulet, comme le poème, a des choses à raconter ? Regardez la tournure, le galbe de la chute de reins, par exemple, ou, l'incroyable endroit où s'accrochent les ailes. Entre les deux, la force qui se dégage du puissant thorax. Puis, soyez attentif aux parfums de cuisson.

Si vous ne sentez rien, avancez votre nez, vous verrez ce que je veux dire. Voici une sacrée belle cuisse de poulet, direz-vous, non, en vous redressant ? Si vous en avez un, offrez à votre invité l'un des sot-l'y-laisse, et regardez-le se réjouir de l'affaire. Gardez l'autre pour le lendemain, rien que pour vous. Faites de même avec un poème.

Ne mangez pas tout en une fois, revenez-y, plus tard, dans un délai assez court, tout de même, pour éviter le désagrément du dépassement de date, car en effet, voyez-vous, la belle pensée possède de nombreuses similitudes avec l'estomac. Par ailleurs, ne dit-on pas "avoir les yeux plus gros que le ventre" ?